
Santé mentale et maintien dans le logement : comment le dispositif EMIL change la donne en Haute-Savoie
Le dispositif EMIL (Equipe Mobile d’Intervention dans le Logement), développé depuis 2021 par l’USH 74 en partenariat avec l’association Oppelia Thylac, permet d’intervenir auprès des locataires présentant des troubles psychiques qui altèrent leur capacité à habiter sereinement leur logement et leur immeuble. D’abord déployé à titre expérimental sur les secteurs d’Annecy et Annemasse, le projet a pu être étendu à l’ensemble du département et ouvert à l’ensemble des bailleurs de l’USH 74 en septembre 2024.
Un complément de financement issu du fonds FNAVDL (part financée par les bailleurs) a permis le renforcement de l’équipe, dorénavant composée de 2 travailleurs sociaux et 2 infirmières psychiatriques.
Le dispositif élargi permet d’accompagner 30 ménages en file active et de mener 6 mesures d’Intermédiation Locative (IML). Une partie de l’équipe est basée à La Roche sur Foron, dans un bureau mis à disposition par Halpades, afin de pouvoir rayonner sur le nord du département.
L’expérience d’EMIL en Haute-Savoie a été présentée dans le cadre de la démarche nationale « santé mentale et logement » portée par l’Union Sociale pour l’Habitat.
Oppelia Thylac développe une démarche d’« aller vers » des locataires signalés par les bailleurs qui sont en situation de grand isolement et d’auto-exclusion. L’objectif est de rétablir progressivement le lien avec le soin et les services de droit commun. Le binôme travailleur social / infirmière psychiatrique permet de coordonner l’intervention de différents acteurs. Oppelia Thylac apporte un appui précieux aux organismes Hlm, notamment face aux situations qui présentent une problématique d’incurie ou un syndrome de Diogène. Elles nécessitent un suivi renforcé qui s’inscrit dans le temps long.
En 2022, nous avions publié les témoignages de Johanna Rampnoux, infirmière psychiatrique, d’Adeline Soudan, assistante sociale chez Oppelia Thylac, et de Patrick Gélinas, responsable du Pôle proximité chez Haute-Savoie HABITAT. Nous vous proposons de redécouvrir leurs expériences du dispositif.
Témoignages de Johanna Rampnoux, infirmière psychiatrique, et Adeline Soudan, assistante sociale chez Oppelia Thylac
Quels sont les profils des personnes que vous rencontrez ? A quelles difficultés récurrentes êtes-vous confrontées ?
L’ensemble des locataires suivis dans le cadre du projet EMIL est en situation de grand isolement et de précarité. Ce sont des publics exclus et qui se sont progressivement « auto-exclus ». Les locataires qui sont à l’origine de trouble de voisinage n’ont pas la volonté de nuire, ils expriment une grande souffrance. Nous sommes face à des personnes en rupture avec les institutions, mais aussi en rupture affective, sociale et médicale. Rétablir la confiance est compliquée, cela se construit progressivement et peut être ponctué de périodes de méfiance.
Comment décrivez-vous votre démarche d’« aller-vers » ?
Le principe de la démarche est d’avancer en fonction de ce que la personne est en capacité d’accepter. Cela se traduit souvent par plusieurs tentatives de rencontres au domicile, des premiers contacts qui s’improvisent là où la personne les accepte (un banc, un café), jusqu’à ce qu’elle ouvre la porte de son logement. Le rythme des rencontres s’ajuste en fonction des personnes, en fonction des moments. Il faut que la confiance envers nous soit suffisamment solide pour que le lien puisse être fait avec le soin et avec un service social. L’équipe EMIL est là « autant que nécessaire », ce que ne peuvent pas faire les institutions, faute de moyens suffisants.
Vous avez également un rôle central de coordination ?
Certains locataires pourront vivre de manière autonome mais auront besoin d’un accompagnement renforcé et dans la durée.
On peut parler de réelle avancée lorsqu’une personne qui était dans le refus total finit par être en demande de soin et prêt à engager des démarches, lorsqu’un locataire qui vivait dans un logement non entretenu, envahi de nuisibles, accepte un suivi psychiatrique et l’intervention d’une aide-ménagère, d’un service de portage de repas, pour vivre dans de meilleures conditions.
Tout l’enjeu de l’équipe EMIL est de s’assurer que les conditions d’un maintien à domicile sont correctes, que des relais solides existent, avant de se retirer progressivement pour laisser place à un suivi de droit commun.
Témoignage de Patrick Gélinas, responsable du Pôle proximité chez Haute-Savoie HABITAT
Combien de locataires de Haute-Savoie HABITAT ont pu bénéficier de l’intervention d’Oppelia Thylac ? Quels résultats percevez-vous pour les locataires concernés ?
7 locataires de Haute-Savoie HABITAT ont pu bénéficier de l’intervention de l’équipe EMIL. On constate que l’accompagnement de ces locataires en situation de grande fragilité psychique est un processus long, fragile. Le temps nécessaire à la démarche d’« aller-vers » n’est pas toujours le même que le temps du voisinage, du bailleur social. Il faut parvenir à apaiser le climat.
Pourtant, avec l’intervention des professionnels d’Oppelia, « on arrive à remettre les gens debout, à les réparer un peu ». On peut parler de réussite lorsqu’une situation est stabilisée, même si tout n’est pas réglé. Les quelques échecs enregistrés sont liés à une impossibilité totale d’entrer en contact avec un locataire, tandis que les troubles de voisinage augmentent.
Vis-à-vis du voisinage, est-ce que cela a permis de désamorcer des situations de conflit, de crise ?
Il arrive que la situation avec le voisinage soit, au fil du temps, devenue très compliquée du fait de nuisances importantes (sonores, olfactives, menaces verbales, infestation de nuisibles, etc.). L’intervention de l’équipe EMIL est rassurante pour les locataires voisins. Elle montre que le bailleur s’est tourné vers des professionnels compétents pour essayer de maintenir le locataire concerné dans le logement, tout en ramenant une situation plus sereine et apaisée dans l’immeuble.
On constate malgré tout que les voisins ont le plus souvent une attitude empathique et bienveillante vis-à-vis de la(es) personne(s) en décrochage, en rupture sociale.
Qu’est-ce que l’intervention de l’équipe EMIL a apporté à vos équipes ?
Lorsque l’on confie au dispositif EMIL une situation face à laquelle on est en échec et pour laquelle la seule issue envisageable est l’expulsion, c’est un soulagement pour les équipes. Le binôme travailleur social / infirmière psychiatrique permet de mettre en action de façon coordonnée les différents acteurs du soin et acteurs sociaux. La prise en charge de la santé mentale est un exercice compliqué qui nécessite des compétences que le bailleur n’a pas. Nos équipes travaillent en confiance, en toute transparence avec Oppelia Thylac, et ont plaisir à constater que les choses avancent.
Le projet EMIL répond-il à l’ensemble des besoins que vous identifiez ?
Le dispositif étant limité à 15 mesures pour les deux premières années d’expérimentation, toutes les situations que nous rencontrons ne peuvent être intégrées. Cependant, au-delà des locataires pris en charge, les collaborateurs de terrain de Haute-Savoie disposent désormais d’un véritable pôle ressource avec les professionnels de l’équipe EMIL qui conseillent, facilitent le lien, orientent vers d’autres partenaires.
Comment imaginez-vous la poursuite d’EMIL au-delà de 2022 ?
Je souhaite vivement que ce dispositif soit reconduit au-delà de 2022 et trouve un relai avec les CLSM* en création sur Annecy et en cours de relance sur Annemasse Agglomération. La problématique de la santé mentale commence à émerger dans les réflexions, un « écosystème » de partenaires locaux se met progressivement en place.
* CLSM : Conseil Local de Santé Mentale.
Pour en savoir plus :
Aude POINSIGNON
Chargée de projets territoriale Haute-Savoie
a.poinsignon@aura-hlm.org